Hello mes petits combattants !
Tout le monde sera d’accord (du moins je l’espère) pour dire que naître femme ne devrait JAMAIS sonner comme une malédiction. Il n’empêche que dans certaines parties du monde, venir au monde dans un corps féminin sonne comme la pire catastrophe sur Terre. Même si les disparités concernant les droits des femmes sont énormes au quatre coins du globe, il s’avère que chaque femme à son niveau et quel que soit son pays ou sa culture rencontre encore aujourd’hui des « difficultés » liées à son sexe à un moment de sa vie. Qu’il s’agisse d’un écart de salaire ou d’une impossibilité à gravir les échelons dans une entreprise (quand il ne s’agit pas tout bonnement d’une impossibilité à accéder à l’Enseignement, à l’Education ou à la Culture), de mariages forcés, d’excisions, de viols ou d’agressions sexuelles, de violences conjugales (avec tout ce que cela englobe : violence physique, psychologique, viol entre époux…) ou encore de harcèlement de rue, les chiffres sont assez parlants et assez alarmants pour qu’on réalise nettement que quelque chose ne tourne pas rond (sans blague ?) dans notre monde.
A côté de ça, nous avons « gagné » des luttes inestimables et qui, il y a encore quelques décennies, semblaient totalement inatteignables. Il aura fallu attendre 1919 pour qu’une fille puisse faire des études à l’université. 1943 pour qu’elle puisse ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de son mari (!). 1944 pour obtenir le droit de vote et d’éligibilité. 1966 pour pouvoir exercer une activité professionnelle sans le consentement dudit mari (encore lui !). 1967 pour recourir enfin légalement à la contraception. 1979 pour avoir le droit de disposer de son corps et de recourir à l’IVG. Le pire, c’est que ce n’était même pas il y a trois siècles : c’était hier. C’est aujourd’hui…
Quand je regarde cette frise chronologique, ce n’est malheureusement pas la fierté qui me saute aux yeux et à la gorge en premier lieu mais surtout l’incrédulité. Car les femmes ont toujours été sous « contrôle » d’une manière ou d’une autre et aujourd’hui encore, nous devons lutter de toutes nos forces pour rappeler aux autres que nous ne sommes ni moindres ni amputées. Comme n’importe quel être humain, nous avons de la valeur. Nous ne sommes ni meilleures, ni moins biens que nos homologues masculins : juste nous-mêmes. A armes égales. Et il serait grand temps de le comprendre. Oui, nous avons gagné le droit de porter des pantalons (!!), d’éclater de rire dans la rue si nous le souhaitons, de divorcer (et de se remarier !), d’occuper des postes à responsabilité, de bricoler, de vivre seul (et pour soi !), de ne plus être uniquement une épouse et une mère (et surtout de ne jamais l’être si c’est ce que nous souhaitons), de ne plus être une petite chose frêle (faible ?) et délicate (sans défense ?) qui ne saurait avoir d’avis sans l’époux choisi (dans le meilleur des cas) et qu’il faut respecter. N’en déplaise à certains. Les choses ont changé… mais à quel point ? Combien de combats déjà gagnés mais de luttes encore à venir pour enfin faire admettre nos droits et notre égalité ?
Je passe maintenant d’une gigantesque échelle (le monde), à une échelle microscopique (mon monde). Je travaille depuis plusieurs années maintenant dans un lieu fréquenté à 90 % par des hommes. Mes horaires de travail ne sont pas fun : lorsque je suis de fermeture, il est presque minuit lorsque je quitte les lieux. Les locaux de l’entreprise sont situés loin de tout (traduction : s’il vous arrive quelque chose, vous pouvez toujours hurler. On ne vous entendra pas…) et le parking pour rejoindre ma voiture n’est pas éclairé (#ambianceglauquebonsoir). Hormis quelques caméras (!), l’entreprise ne met rien à disposition de ses employés pour assurer leur sécurité. J’assure les fermetures en solo (on est quand même plus fort à deux comme le dit le proverbe), sans gardien, sans personnel dédié à la sécurité, sans maître-chien. Livrée à moi-même, et donc aux autres s’ils le veulent. Sans tomber dans la paranoïa, tout pourrait arriver : un braquage, une agression, un viol ou tout simplement un accident (tomber dans les escaliers ou faire un malaise sans que personne ne soit au courant et sans pouvoir alerter qui que ce soit). Comme dans tant d’autres entreprises, on attend probablement qu’un drame arrive (puisqu’il faut en arriver là) pour donner enfin des moyens, humains comme financiers, à ses employés.
Lorsque mon contrat a commencé, c’était une inquiétude récurrente. Je mettais les pieds en terre inconnue et sans avoir la peur au ventre, j’étais toujours sur mes gardes lors de ces fameuses fermetures. Quelques années plus tard, aucun accident n’est heureusement à dénombrer. Si les hommes ne sont pas toujours délicats-courtois-charmants-polis-voire-même-intelligents (je vous laisse choisir…), je suis la première à dire qu’il ne faut vivre ni dans la peur, ni se positionner en « victime ». Avoir peur d’eux signifierait qu’ils ont un ascendant sur nous et ce n’est absolument pas ma façon de voir les choses. Pour exemple, la clientèle sait pertinemment que nous sommes totalement seuls à la fermeture et pourtant, aucun ne s’est encore caché dans un recoin sombre pour nous sauter dessus à la sortie. Le monde n’est donc pas si horrible que ça… Du moins par moments ! De par ce quotidien « sans histoire », j’ai arrêté progressivement de me méfier. Je sors désormais du travail sans « peur », persuadée que rien ne peut m’arriver et que personne ne m’attendra jamais dans un recoin sombre. Je ne suis plus sur mes gardes. C’est pourtant stupide : près de 80 % des viols sont commis par des gens que l’on connaît et en qui on a confiance… Mais petit à petit, cette inquiétude m’a tout bonnement quitté. Juste comme ça. Balayée d’un revers de la main.
Il y a quelques temps, une amie avec qui j’en discutais me disait justement que mon quotidien « sans histoire » me rendait peut-être un peu « trop » confiante. A force de n’avoir aucun problème (et heureusement !) et de trouver par conséquent les gens adorables (et donc inoffensifs), je ne prenais plus conscience des dangers qui peuvent malheureusement guetter les femmes. Cette amie a, notamment, été confrontée à un exhibitionniste il y a quelques années et en reste encore assez choquée aujourd’hui (ce qui se comprend parfaitement). Comme toujours, je lui ai répondu que je refusais de me positionner en « victime » uniquement parce que je suis une femme et que je refusais de vivre dans la peur. Que je ne ferais jamais partie de ce « sexe faible » dont on parle tant pour la bonne et simple raison que les femmes ne sont PAS faibles. Que le jour où je commencerai à changer d’attitude « de peur que… », alors ce monde qui transpire l’insécurité (c’est en tout cas comme ça qu’on nous le vend) aurait véritablement gagné. Non non non, je ne vivrais pas dans l’inquiétude ! Jamais. Vraiment ?
Puis il y a quelques jours, alors que je réfléchissais à la tenue que je pourrais porter pour la soirée parisienne qui m’attendait le soir-même et à laquelle je me rendais en RER, une pensée s’est imposée à moi, juste comme ça : une robe ou une jupe à une heure tardive pourrait envoyer un « mauvais » message. Il valait mieux éviter. Ne pas tenter le diable dirons-nous (NB : attention, je ne pense absolument PAS qu’une femme qui s’est faite violer alors qu’elle portait une jupe est fautive ne serait-ce qu’une seule seconde). Et puis porter des talons ne serait de toute façon ni pratique, ni « sécurisé ». Si on était subitement obligé de courir (que ce soit pour attraper un train ou pour échapper à quelqu’un) on le ferait toujours plus vite à plat que perché sur des échasses. Arrivée dans les transports, j’ai adopté sans même m’en rendre compte ma « posture de défense » : se tenir bien droit, regarder fixement au loin… mais sans regarder personne, justement. Et surtout ne pas sourire. Paraît-il pour l’avoir lu dans l’interview d’un expert en self-défense que la personne qui se positionne en victime interpelle d’abord dans sa posture. En pensant se faire « oublier », en se recroquevillant sur elle-même ou en regardant par terre, la personne attire en fait le prédateur. En gros, pour ne pas se faire emmerder, il suffirait d’avoir l’air de quelqu’un qui ne veut clairement pas qu’on l’emmerde. Vraiment. Aparté : je m’excuse d’ailleurs auprès du mec qui est venu me demander un mouchoir ce soir-là (visiblement, il faut que je revoie de toute urgence ma posture « Merci de ne surtout pas m’emmerder ») (si jamais tu me lis, ahah) et qui a dû se demander quel était mon problème (mais si je te jure, je suis vachement sympa dans la vie !) (il a tout de même eu son mouchoir hein, je ne suis pas sadique à ce point ;)).
Puis en rentrant de ma soirée, installée dans un wagon du dernier RER en partance de Paris pour la banlieue (où je choisis toujours une rame bien remplie histoire de ne pas être trop seule…), je me suis dit qu’il faudrait réellement que je m’achète un sifflet, depuis le temps que j’en parle (si tu l’ignores lecteur, le sifflet est largement recommandé en cas d’agression. La peur coupant souvent le sifflet de la victime (oui, j’ai avalé un clown ce soir), cet accessoire aurait alors deux fonctions : effrayer l’agresseur qui ne s’attend certainement pas à se prendre un son strident dans les oreilles et avertir les gens qui potentiellement seraient dans le quartier et voudraient vous secourir (l’espoir fait vivre). Puis j’ai repensé à ces stages de self défense qui me font justement de l’oeil depuis un moment : pouvoir apprendre quelques techniques d’auto défense comme ça, « juste au cas-où ». Pour être tranquillisée. Lorsque le RER est enfin arrivée à ma station, j’ai eu les mêmes réflexes que d’habitude : éteindre mon MP3 mais ne pas enlever les écouteurs de mes oreilles (pour avoir conscience de ce qui se passe autour de moi ni vu ni connu), serrer ma bombe lacrymo dans ma main droite, au fond de ma poche (celle que j’ai depuis si longtemps que je me dis qu’elle ne marchera probablement pas le jour où j’en aurais besoin… !) puis préparer ma clé de voiture dans ma main gauche. Quand les portes du wagon se sont enfin ouvertes, j’ai marché d’un pas rapide vers ma voiture et je n’ai pas manqué de m’enfermer à l’intérieur à peine assise dedans. Et je me suis dit que, sans sombrer dans la paranoïa (à peine !), il y avait tout de même un léger sentiment d’insécurité dans l’air.
A ce stade (si vous êtes toujours là, chapeau bas ;)), vous vous demandez peut-être où je veux en venir avec cet article fleuve. Comme très souvent quand je ressens le besoin irrépressible d’écrire sur un sujet un peu plus sérieux que d’ordinaire et qui me touche, je ne suis même pas certaine de le savoir moi-même. Je cherche mes mots, je les retourne dans mon esprit pour mieux les apprivoiser, de peur que mon message ne soit trop ambigu ou tout bonnement incompréhensible. Et puis d’autres blogueuses ont déjà parlé (et merveilleusement) du harcèlement de rue, du quotidien et des droits des femmes bien avant moi. Jusqu’à présent, je ne me sentais pas réellement légitime pour m’exprimer sur le sujet : je fais partie de ces femmes chanceuses qui n’ont jamais rien vécu d’horrible (mais de nombreuses femmes autour de moi, pour certaines très proches, n’ont malheureusement pas eu cette chance…). Pas d’agression, pas de viol, pas d’attouchement. Juste le lot quotidien : se faire klaxonner dans la rue par des hommes qui ne voient que notre côté pile (NDLR : notre cul), se prendre quelques phrases gratuites et insultantes en pleine face (et, sous le choc, manquer de réparti). Dans le pire des cas, se prendre une main aux fesses (et avoir la nausée). De ce fait, j’ai toujours pensé que ma parole n’avait pas de valeur. Pas de poids. Puis j’ai compris que ce qui était grave justement, c’est de se dire que ça ne l’était pas. Que ce n’était pas « grand chose » finalement. Être prise à parti en pleine rue alors qu’on a rien demandé à personne, ce sera toujours grave. Avoir peur de sortir ou de rentrer chez nous à une heure tardive parce que nous ne nous sentons pas en sécurité, ce sera toujours grave. Et inacceptable.
Alors je continue de m’interroger sur mon ressenti : devons-nous parler de méfiance (légitime), d’un brin de paranoïa (nécessaire) ou tout simplement de prévoyance (voire de clairvoyance !) dans ces comportements, dans ces réflexes que l’on est obligé de s’imposer quotidiennement ? Qu’on ne s’impose plus d’ailleurs, tant nous les avons intégré à notre quotidien teinté de méfiance en l’autre. Comment en sommes-nous arrivées là, d’accord sur le fait évident que tous les hommes ne sont pas (dieu merci) des agresseurs en puissance mais obligées, implicitement tout du moins, de nous méfier de tout, encore et toujours ? De garder un œil sur nos verres en soirées ? De choisir scrupuleusement nos tenues pour qu’on ne vienne pas nous les reprocher ensuite ? Suis-je moi-même hypocrite de me revendiquer féministe et forte et d’affirmer qu’il ne faut pas se sentir en danger dans un environnement que je connais et que je pense maîtriser mais d’être aux aguets en permanence et plus effrayée que je ne voudrais l’avouer dès que je mets un pied dans l’inconnu ? Doit-on se convaincre que le monde est foncièrement bon quitte à se brûler les ailes d’avoir fait trop confiance ou vaut-il mieux se méfier pour ne pas avoir à se dire ensuite « si j’avais su… » ? J’ai beau savoir que je ne referai pas le monde, je ne peux m’empêcher de rêver à une société où l’on pourrait enfin rentrer paisiblement chez nous à 4h du matin, à pied si nous le souhaitons, croiser un groupe composé du sexe opposé sans frissonner, sans avoir à changer de trottoir car oui, on ne sait jamais, nous ne sommes pas à l’abri, il vaut mieux être prudent… Un monde où une femme, quel que soit son âge, ses origines, sa culture, n’aurait pas à se sentir en danger ou à craindre pour sa vie juste parce qu’elle est née dans une moitié d’humanité qu’elle n’a pas choisi.
« APRÈS AVOIR ÉTUDIÉ LA CONDITION DES FEMMES
DANS TOUS LES TEMPS ET DANS TOUS LES PAYS,
JE SUIS ARRIVÉ A LA CONCLUSION QU’AU LIEU DE
LEUR DIRE BONJOUR, ON DEVRAIT LEUR DEMANDER PARDON »
(Alfred de Vigny)